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Collection étrange

Collection étrange

Collecter. Collectionner. Chiner. Troquer. Trouver. Voler. Emmagasiner. Capturer. Exposer. Classer. Ordonner. Rassembler. Composer. Echanger. Il est de nature humaine de vouloir, parfois malgré soi, récupérer divers objets de même nature pour les rassembler et les exposer ensemble. Que ce soit des grenouilles en figurines ou des papillons sous verre, cette manie est adoptée par la masse. Mais quel peut être l'intérêt de cet acte ? Il y a une dissociation entre l'usage originel des objets collectés et l'inutilité lorsqu'ils sont exposés ensemble. Le timbre est collé sur une enveloppe pour facturer son envoie, mais quel est son utilité lorsqu'il se retrouve classer dans un classeur enfermé dans un tiroir à poussière ? S'il n'y a plus de nécessité ou d'utile, il y a donc esthétique. L'acte de collectionner s'apparente ici à l'acte de création. Il n'a d'essence que dans ce qu'il est et ce qu'il nous donne à voir, sans but d'utile. Mais il est question dans l'art de reproduction de la nature, d'imitation de ce qui existe d'ores et déjà et transformation en objet sensible. Hegel affirme même : « Mais on peut remarquer tout de suite que cette reproduction est un travail superflu, que ce que nous voyons représenté et reproduit sur de tableaux, à la scène où ailleurs: animaux. paysages, situations humaines, nous le trouvons déjà dans nos jardins, dans notre maison, ou parfois dans ce que nous tenons du cercle plus ou moins étroit de nos amis et connaissances. »1 Dans cette pensée, qu'en est-il de la réapropriation d'objets existant déjà dans la nature et par leur simple rapprochement de les transformer en manifestation artistique ?

Il est courant que l'opinion de spectateur soit partagée devant ce rassemblement. En quoi la collection d'objet saugrenus, comme dans les cabinets de curiosité par exemple, est-elle plus pertinente et artistique que la leur ? On en revient toujours à la référence du ready made et à la célèbre question : quand peut-on dire qu'un objet est art et qui le déclare ? Je ne pense pas qu'il existe de réponse catégorique à ces interrogations et que c'est avant tout une affaire de sensibilité et de ressentis. Mais ce n'est le débat qui nous agite ici, même s'il en découle.

L'acte de collectionner s'affaire à trois notions : la collecte, la comparaison, la création d'ambiance (d'abondance). Ces trois paramètres s'accordent aussi bien pour le collectionneur lambda, que pour le chercheur, le scientifique ou l'artiste.

Collecter consiste à regrouper des éléments appartenant au même thème. C'est une course à l'unicité, la rareté d'un objets qui se doit être dans ce regroupement. Plus le collectionneur est obsédé ou méticuleux dans son affaire, plus sa collection comportera d'objets uniques, difficiles à se procurer, que les autres collectionneurs n'auront pas et qui le statuera supérieur à ces congénères. Le but étant, s'il est impossible de tous les collecter, d'en posséder le maximum. La qualité peut être tout aussi important que la quantité.

Il y a ensuite cette notion de comparaison. Un objet n'a pas le même impact lorsqu'il est présenté seul que lorsqu'il se trouve à côté d'autres objets de même nature. Cela reproduit le schéma des couleurs : certaines couleurs se mettent à vibrer, ou donne l'illusion d'une transformation chromatique lorsqu'elles sont disposées à côté d'autres couleurs. Il en va de la même appréciation des objets. De plus, dans l'accumulation, les détails de chaque pièce sont relayés au second plan. Ce qui importe c'est l'ensemble, non pas le spécifique. Dans un élan grossier, il est possible de faire la comparaison avec le propre de la société. Ce qui compte c'est le tout, la société, la race, non pas l'individu. Il ne faut pas penser que pour soi, mais avant tout pour la communauté.

Enfin, le rapprochement de tous ces objets dans un espace défini créait indéniablement une ambiance, une immersion particulière. Lorsqu'un spectateur entre dans un lieu où il lui est proposé une collection imposante, le ressenti se modifie. Les cabinets de curiosités sont des environnements étranges, qui génèrent des effets qui lui sont propres et qui n'auraient pas exister si chaque partie avait été éloignées des autres. L'observateur se retrouve seul dans un amas de multiplicité.

Mais alors encore une fois, dans ces particularités qui correspondent à la collection populaire comme à la collection artistique, en quoi l'intervention de l'artiste transforme-t-elle cette manie ? Y a-t-il réellement une pertinence à ce que l'acte de collection rentre dans le champs de l'art ?

Plusieurs collections émergent dans les institutions d'exposition. En premier lieu, comme il a été évoqué antérieurement, il est spontané de penser aux cabinets de curiosité. Antiquités, objets d'histoire naturelle, œuvres d'art et beaucoup d'autres objets inédits y été entreposés et exposés. Entre une curiosité scientifique, malsaine (notamment des choses de la mort), artistique ou imaginaire (on pouvait y trouver quelques objets relevant du pur mythe comme des dents de sorcière ou du sang de monstre), ces espaces communs nés à la Renaissance sont les ancêtres de nos musées. Inscrits dans la découverte d'objets majoritairement inconnus du public, ils se différencie des chambres de merveilles2 où malgré une même intention et vision de collection, il s'y trouve des objets relevant du souvenir et de la mémoire. Ce sont donc deux modèles qui sont destinés à être vus par le plus grand nombre et ne sont jamais enfermés dans une sphère privée.

C'est également le cas, dans une époque plus récente (les cabinets de curiosités et chambres de merveilles ont cessés d'être mis en place durant le XIXème siècle) pour les collections d'artistes exposées dans les musées ou galeries. Le MIAM (ou Musée International des Arts Modestes situé à Sète) propose des collections relevant de l'Art Modeste. L'Art Modeste est une expression qui qualifie les objets communs, se veut plus populaire et proche des spectateurs, pointant du doigt le Grand Art et ses règles soumises au marché de l'art. Ce musée abrite donc les collections réalisées par ses deux fondateurs ; Hervé Di Rosa et Bernard Belluc. On y trouve des objets qui correspondent à cette idée d'Art Modeste : des jouets, des bibelots, des reste d'objets manufacturés ou artisanaux. Autant d'éléments qui se rapprochent de ceux de l'Art brut ou l'Art populaire. Il y a également des espaces qui abritent des collections commandées, c'est à dire créées de toute pièce dans le but de les exposer dans ce format de collection. Le spectateur peut ainsi se positionner face à cette accumulation qui relève plus de la curiosité et du partage que de la manie compulsive.

Le travail d'un artiste français Théo Mercier se base sur les cadavres exquis, les collections, les collages. Son style est teinté d'humour noir et propose des objets hybrides. Il transforme des objets qu'il récupère pour qu'ils deviennent uniques et insolites et les exposent sous le format de la collection3. Ce n'est donc plus ici le schéma habituel de la simple récupération et exposition, il y a une trace de l'artiste qui s'impose et propose une manie imaginaire.

Mon projet pour ce sujet s'inscrit dans la reprise et l'accumulation d'éléments transformés. Mais au lieu de récupérer des objets que je peux trouver, j'ai choisis de réutiliser les rushs de mes vidéos antérieures pour les mettre en situation de collection. Certaines répondent à des ambiances ou des tons chromatiques similaires mais d'autres se distinguent par leur singularité nécessaire au sujet qu'elles traitaient. Pour le montage de la présentation de la collection, j'ai choisi de les projeter ensemble sur un même plan, dans un format vidéo, pour jouer avec la mise en abime de cette présentation. Les vidéos ainsi présentée ne comporte pas le même impact sans montage et positionner les unes à côté des autres. Elles perdent l'essence pour laquelle elles ont été filmée et exposées en premier lieu, pour en affirmer une autre. Elles sont également le témoin contemplatif de tout mon travail vidéo. Une seule vue pour percevoir de manière inconsciente et transcendantale l'ensemble de mes travaux. Le fait que chaque rush soit indépendant (ils ne durent pas le même temps et sont disposés de manière aléatoire) créait une vision mouvante, à la limite du kaléidoscopique. C'est en cela que cette projection vidéo rejoint mes réflexions. Elles comportent une part conséquente sur les techniques hallucniatoires et celle-ci rappelle d'une part les accumulations d'éléments dans un espace restreint4 présents majoritairement dans l'Art Psychédélique, et d'autre part les jeux de lumière et de mouvements2 propres à l'Op Art et aux arts immersifs.

1 Hegel, Esthétique Tome I, Le livre de Poche, « Classiques de la philosophie », 1997, p.13.

2 Thème étudié originellement par l'historien d'art Julius Von Schlosser : Julius Von Schlosser, Die Kunst-und Wunderkammern der Spätrenaissance, ein Beitrag zur Geschichte des Sammelwesens, Klinkhardt und Biermann, 1908.

3 Théo Mercier, Horizon d'os, installation, 250 x 129 x 10 cm ; 2013, Galerie Gabrielle Maubrie, Paris.

La compagnie du bon goût, installation, 100 x 110 x 15 cm ; 2013, Centre Pompidou, Paris.

4 Isaac Abrams, Birthday, 2010. Acrylique sur toile, 30 cm x 62 cm, Coda gallery, New York.

5 Julio Le Parc, Continuel-Lumière au plafond, 1963-1996. Bois peint, acier inoxidable, nylon, 22,5 cm x 400 cm x 400 cm, collection Daros-latinamerica, Zurich.


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